Enterrez-moi sous le carrelage - Pavel Sanaïev
Sacha Saveliev vit à Moscou chez ses grands-parents et ne voit sa mère que rarement depuis qu'elle a refait sa vie avec un artiste. Sacha, comme tout les garçons de son âge, passe le plus clair de son temps à jouer et à rêver. Mais sa santé fragile lui vaut l'attention constante de sa grand-mère Nina, qui oeuvre énergiquement pour empêcher le "pourrissement" de son petit-fils...
Quel effrayant personnage cette grand-mère ! Si vous essayez de vous la représenter comme un vague clone russe de Tatie Danielle, sachez que vous êtes encore loin du compte... Cette grand-mère-ci vocifère et jure comme un charetier, et entre deux malédictions affuble son petit protégé d'aimables sobriquets tels que "débile", "ordure" ou "charogne", sa préférence allant sans conteste pour "salop" :
"Tu as transpiré... Très Sainte Mère de Dieu, protège-nous, il a sué, ce salaud ! Mon Dieu, sauve-le, épargne-le ! Mais maintenant, espèce de créature, tu vas en prendre pour ton grade !". (p.29)
Une grand-mère vraiment effrayante, dont les rares manifestations de tendresse font presque autant frémir que les colères :
"Les baisers de grand-mère provoquaient en moi un haut le coeur et, arrivant à peine à me retenir pour ne pas vomir, j'attendais, avec une exaspération extrême, que ce froid humide cesse de ramper sur mon cou [...]." (p.203)
Etonnamment, le jeune Sacha, qui est aussi le narrateur de cet étrange récit, semble pourtant assez insensible aux accès de violence de son acariâtre grand-mère, et laisse passer les orages avec un détachement parfois surprenant. Il est bien sûr malheureux lorsqu'il fait les frais de la mauvaise humeur matriarcale, mais cela ne dure jamais et son optimisme reprend toujours le dessus. Enfermé dans une prison d'affection étouffante, il parvient à s'échapper à force d'imagination et de jeux d'enfants. Et dans ce maelström de jurons et de colères, se détache comme une icône (n'oublions pas que nous sommes en Russie...) la figure apaisante de la mère chérie :
"Grand-mère était ma vie, maman une fête exceptionnelle." (p.223)
Un roman étonnant, mélange d'absurde, d'humour, de tendresse et de violence, bien écrit, même si le flot ininterrompu d'insultes peut un peu lasser à la longue. On ne peut qu'espérer pour Pavel Sanaïev que ce récit ne soit pas trop autobiographique...
"Enterrez-moi sous le carrelage" de Pavel Sanaïev (2009)
Les Allusifs, 266 pages, 23 €
Un roman lu dans le cadre du Prix de la Révélation auFeminin.com