Dracula - Bram Stoker
"Dracula" fait partie de ces classiques que l'on pense connaître, mais que l'on n'a pas forcément lus. Peu intéressé par les histoires de vampires, je me contentais très bien jusqu'à présent de cette connaissance approximative... Mais chargé récemment de publier une série de chroniques pour le blog de Sony consacré aux livres numériques, et souhaitant rédiger un billet traitant de l'indéboulonnabilité de certains classiques, il devenait difficile de faire plus longtemps l'impasse sur ce roman emblématique...
Armé de mon lecteur de livre électronique fraîchement acquis, je me suis donc connecté à Feedbooks pour télécharger (gratuitement) l'oeuvre de Bram Stoker. Entre parenthèses, c'est le premier roman que je lis intégralement sous forme électronique, une petite révolution dans ma vie de lecteur... Mais je reviendrai sur l'expérience dans un prochain billet, parlons plutôt du roman...
Pour les allergiques aux romans épistolaires, il peut être utile de rappeler que "Dracula" est une recueil de courriers, de notes, de passages de journaux intimes. On peut cependant préciser que les correspondances sont assez longues, souvent entrecoupées de dialogues et donc assez vivantes. On fait assez vite abstraction du genre.
Même armé de solides a priori négatifs sur l'oeuvre, j'avoue m'être laissé happer par ce roman pas aussi poussiéreux que l'on pourrait penser. Il n'est pas dénué de suspense, ni même d'une certaine modernité. L'enquête que mènent les personnages principaux pour retrouver Dracula fait appel à des méthodes qui s'apparentent beaucoup à celles des profilers dont sont friandes les séries américaines contemporaines ; l'énoncé des super-pouvoirs du compte Dracula (voir extrait ci-dessous) ferait pâlir de jalousie le mieux loti des super-héros ; et le dénouement du récit, haletant à souhait et se jouant à la seconde près, n'a rien à envier aux scènes d'actions chronométrées des blockbusters américains...
"Le vampire qui se trouve parmi nous, possède, à lui seul, la force de vingt hommes ; il est plus rusé qu'aucun mortel, puisque son astuce s'est affinée au cours des siècles. [...]il peut, avec pourtant certaines réserves, apparaître où et quand il veut et sous l'une ou l'autre forme de son choix ; il a même le pouvoir, dans une certaine mesure, de se rendre maître des élément : le brouillard, le tonnerre, et de se faire obéir de créatures inférieures, telles que le rat, le hibou, la chauve-souris, la phalène, le renard et le loup ; il peut se faire grand ou rapetisser et, à certains moments, il disparaît exactement comme s'il n'existait plus." (p.368)
Dracula est également un roman plus riche que l'on pourrait imaginer. Publié en Angleterre en 1897, en pleine révolution industrielle, on sent tout au long du récit l'intérêt de l'auteur pour les sciences. Le nombre de notes consacrées à l'étude de la maladie mentale de Renfield (ce patient qui devient fort agité lorsque le compte Dracula est dans les environs) par le Dr Seward fait également penser que Bram Stocker était particulièrement intéressé par l'étude des maladies mentales. Il est d'ailleurs un contemporain de Charcot, cité dans le roman (p.302), et de Freud qui vient alors de publier ses écrits sur l'hypnotisme, une technique souvent utilisée dans le récit.
Une surprise également à la lecture de ce roman : la sensualité de certaines scènes. Pas de doute : dans l'esprit de Bram Stocker, la sensualité est associée au Mal et ses vampires à la volupté. Les femmes vampires sont des "ribaudes" ; certains passages sont assez torrides...
"Je n’osais par relever les paupières, mais je continuais néanmoins à regarder à travers mes cils, et je voyais parfaitement la jeune femme, maintenant agenouillée, de plus en plus penchée sur moi, l’air ravi, comblé. Sur ses traits était peinte une volupté à la fois émouvante et repoussante et, tandis qu’elle courbait le cou, elle se pourléchait réellement les babines comme un animal, à tel point que je pus voir à la clarté de la lune la salive scintiller sur les lèvres couleur de rubis et sur la langue rouge qui se promenait sur les dents blanches et pointues. Sa tête descendait de plus en plus, ses lèvres furent au niveau de ma bouche, puis de mon menton, et j’eus l’impression qu’elles allaient se refermer sur ma gorge. Mais non, elle s’arrêta et j’entendis un bruit, un peu semblable à un clapotis, que faisait sa langue en léchant encore ses dents et ses lèvres tandis que je sentais le souffle chaud passer sur mon cou." (p.63)
Enfin, il faut bien avouer que certaines scènes sont assez bouleversantes. Deux cents ans Plus de cent ans après sa publication, le roman marque encore, et n'usurpe pas sa renommée...
"Dracula" de Bram Stoker (1897)